Dès le XIX ème siècle, le lac Léman a vu les débuts de la navigation de plaisance, puis il est également devenu un terrain de jeu idéal pour atteindre des records de vitesse. Je suis un des derniers témoins de la belle plaisance de la fin du XIX ème siècle, et très fiere de représenter l’aristocratie nautique lémanique, d’un temps révolu.
Aujourd’hui, quand on parle de moi, on me nomme « La Peccadille ». Vous ne le savez peut-être pas, mais je n’ai pas toujours porté ce nom.
Monsieur Henri Say, petit-fils de Louis Say, fondateur des raffineries françaises de sucre, acquiert en 1895 la villa Prangins, édifiée par le prince Jérôme Napoléon Bonaparte en 1862 (actuel golf de Prangins), et, par la même occasion, commande un petit yacht à vapeur. Il me baptise Sevillana.
Je suis construite (yard N° 323) en 1897 au chantier John I. Thornycroft à Chiswick en Angleterre, réputé pour ses constructions de bateaux du type torpilleur, très profilés et rapides pour l’époque. Vu mes dimensions, 23 m de long, 3 m. 30 de large et un poids d’environ 17 tonnes, je suis transportée en cinq pièces détachées par train, en passant la frontière à Bâle, jusqu’aux rives du lac Léman où je suis remontée.
Rapidement, je me fais remarquer par ma puissante chaudière et la finesse de mes lignes qui me permettent des performances de vitesse extraordinaires pour l’époque, lesquelles, paraît-il, incitèrent la Baronne Julie Caroline de Rothschild à commander Gitana II, un yacht encore plus grand et plus rapide que son prédécesseur, Gitana.
Dès 1902, je disparais de la scène lacustre. Ma chance, c’est d’avoir échappé à la première guerre mondiale. Beaucoup de mes semblables ont fini démantelés pour façonner des canons, le fer étant très recherché durant cette sombre période.
On retrouve ma trace vers 1936 en mains d’un prince perse, Monsieur Vincent Pierre Kitabji Kahn, domicilié à Coppet (VD) qui me nomme, de manière poétique, Deria I Nour (Mer de Lumière).
En 1947, Monsieur Jean Tremolières me rachète pour une « peccadille », selon ses dires, et me voilà repartie avec un nouveau nom. C’est à ce dernier acquéreur que je dois ma silhouette actuelle. À la suite d’une explosion vers 1950-1951, ma machine à vapeur est remplacée par un moteur diesel Gray Marine et ma cabine centrale reconstruite plus large. Grâce à la place libérée par ma chaudière, il aménage un carré avec cuisine et me rend plus confortable.
En 1960, mon propriétaire approche Monsieur André Jordan, ferrailleur genevois de son état, auquel il me cède. Je découvre des sorties dominicales d’un autre style : gigots à la broche sur le pont arrière et des jeunes qui bronzent.
Lors d’un fort coup de bise au cours de l’hiver 1962-1963, je sombre sous le poids de la glace dans les eaux du Léman, alors que je suis amarrée dans le port de la Société nautique de Genève. Le peu de temps passé sous l’eau me fait beaucoup de mal. Monsieur André Brugger, mon nouvel acquéreur entreprend les démarches nécessaires pour me renflouer, fait un long et patient travail de remise en état et m’installe un moteur Caterpillar D 315 qui restera présent à mon bord jusqu’à la création de l’Association.
Mon capitaine d’alors m’affrète en 1968 en l’honneur du crooner français, Monsieur Guy Marchand, lequel accepte l’invitation de Madame Charlotte Ruphi, journaliste de la RTS, à participer à l’émission « Chansons à aimer ». Toute l’émission se déroule à mon bord. J’ai eu le plaisir d’accueillir également Monsieur Alain Morisod lors de l’émission nationale du 1 er août 1968. Je suis son plus récent coup de cœur. Il est aujourd’hui mon parrain.
Au début des années 1970, Messieurs André Brugger et David Ades se partagent ma propriété avant que ce dernier devienne mon unique propriétaire. J’ai été l’amour de sa vie. Après de belles années de navigation et de passions familiales, Monsieur David Ades me lègue à ses petits-enfants.
J’avais quelques signes de fatigue et des réparations étaient indispensables.
Après avoir diagnostiqué la faisabilité de ma restauration, c’est en avril 2017 que l’Association pour ma sauvegarde est créée et que je suis cédée pour 1.-CH symbolique à celle-ci.